HEROS (KONGOLAIS) MECONNUS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Edition imprimée — juin 2007 — Pages 34 et 35
By Anicet Mobe Fansiama
« Sur ces mains, je vous apporte tout ce que nous sommes, tout ce que nous pouvons . »C’est ainsi qu’Albert De Vleeschauwer, ministre belge des colonies, s’adresse au premier ministre britannique Winston Churchill le 10 juillet 1940. Le « nous » en question désigne le Congo et non pas la Belgique, alors envahie par l’Allemagne et dont le gouvernement s’est exilé à Londres. Près de 85 % des ressources dont ce gouvernement disposa pendant la guerre lui viendront de son joyau colonial. « D’une manière générale, le poids de la Belgique dans la guerre a été largement le poids du Congo », commente l’historien Jean Stengers, et de ses immenses ressources minières. Pourtant, le rôle stratégique de ce pays d’Afrique centrale durant la seconde guerre mondiale demeure largement occulté. Ce silence paraît d’autant plus injustifié que les conditions d’engagement du Congo aux côtés des alliés vont durablement influencer son histoire après 1945.
L’implication de la colonie dans le conflit est multiple. Malgré les réticences du roi Léopold III, attaché au principe de neutralité, plusieurs accords commerciaux et financiers sont conclus avec le Royaume-Uni entre le 21 janvier 1941 et octobre 1944 . L’accord britanno-belge du 21 janvier 1941 consacre même l’inclusion du Congo et du Ruanda-Urundi dans la zone sterling. « Avec celui du 5 octobre 1944, estime Stengers, on peut affirmer que le franc belge s’est aligné sur le franc congolais . » Sur le terrain, les troupes congolaises se battent en Abyssinie (Ethiopie), où elles remportent de nombreuses victoires sur les Italiens : Assossa (11 mars 1941), Gambela (23 mars 1941), Saïo (3 juillet 1941). Elles font quinze mille prisonniers, dont neuf généraux. Après la capitulation italienne, la Force publique – nom donné à l’armée du Congo – mobilise treize mille soldats et civils afin de combattre en Afrique de l’Ouest contre certaines colonies françaises demeurées fidèles à Vichy. Une partie du corps expéditionnaire déployé en Afrique de l’Ouest est convoyée au Proche-Orient ; les premiers contingents arrivent, le 18 avril 1943, à Suez ; une brigade est déployée en Palestine. Une antenne médicale, composée de trois cent cinquante soldats congolais encadrés par vingt officiers européens, se distingue en Abyssinie et en Somalie (1941), à Madagascar (1942), aux Indes et en Birmanie (1943-1945).
Le Congo est aussi le point de passage des troupes alliées : un camp militaire britannique est installé à Kalemie, près du lac Tanganyika, afin d’organiser les convois vers le Kenya. En 1942, une garnison américaine s’établit à Léopoldville (Kinshasa), près de l’aérodrome de Ndolo, afin d’acheminer du matériel et du carburant au Proche-Orient.
Mais, pendant que les soldats congolais combattent pour préserver les intérêts commerciaux, économiques et industriels belges, l’ordre colonial mobilise de redoutables forces de répression afin de mater les populations locales contestataires. Travaillant dans des conditions très difficiles, les civils sont durement réquisitionnés pour des travaux agricoles, industriels et aussi pour le portage du matériel militaire (Le portage est une forme de travail forcé particulièrement meurtrière qui oblige les victimes à transporter, sur de longues distances et dans des conditions très pénibles, des charges pourvant aller jusqu’à quarante kilos. Cf. Nadège Paquier et Diane Tiedemann, « La colonisation du Congo » (PDF), gymnase Auguste-Piccard, 2006.) . Ils jouent ainsi un rôle stratégique. Le 4 décembre 1941, les ouvriers noirs de l’Union minière du Haut-Katanga déclenchent un mouvement de revendications salariales. Les autorités répliquent : une fusillade fait soixante victimes. Deux mois plus tôt, la grève du personnel européen, le 13 octobre, n’avait pas été réprimée. Le colonisateur crée alors des colonies agricoles pour relégués dangereux à Ekafera (province de l’Equateur) et à Punia (province de Maniema). En 1945, le Congo belge compte plus de cinq mille relégués dont plus de trois mille pour des motifs politiques.
A l’issue du conflit, la Belgique se rend à l’évidence : par son sang versé au champ d’honneur, par son ardeur au travail et ses innombrables sacrifices, le peuple congolais a permis à la métropole de se compter parmi les vainqueurs. Bruxelles évalue forfaitairement à 4 milliards de francs belges de l’époque (750 millions d’euros) la « dette de guerre ». Ainsi sont créés en 1947, l’Institut pour la recherche scientifique en Afrique centrale et le Fonds du bien-être indigène (FBI). Le gouverneur général Pierre Ryckmans critique sévèrement les orientations du FBI qui ne permettent pas le développement économique et social du Congo.
C’est au cœur de ces multiples contradictions que s’aiguise la conscience politique des Congolais et des Africains, ouvrant la voie aux indépendances à partir de 1957-1958. Abasourdis par l’ampleur de la débâcle des armées belge et françaises, impressionnés par les secours – militaires, économiques et financier – qu’ils apportent aux métropoles afin qu’elles se relèvent, les Africains puisent dans les événements la détermination de se libérer du joug colonial. Il est significatif que certains anciens combattants congolais jouent un rôle de premier plan peu avant et après l’indépendance en 1960 : Gaston Diomi, Pierre Canon et Victor Lindula, assistants médicaux, qui ont servi en Birmanie, sont élus bourgmestres (maires) à la fin des années 1950, respectivement à Ngiri-Ngiri et à Lingwala (Saint-Jean), à Léopoldville et à Jadotville (Likasi). En 1958, Gaston Diomi participe à la conférence panafricaine d’Accra (Ghana), en compagnie de Patrice Lumumba et de Joseph Ngalula. En 1960, il est élu vice-président du gouvernement provincial de Léopoldville. Tel est le cas aussi de Louis Bobozo, d’Eugène Ebeya et de Norbert Muke-Masuku, qui, après avoir combattu en Abyssinie, servent dans l’armée nationale congolaise après l’indépendance.
Les manuels d’enseignement traitent peu de l’engagement du Congo dans la seconde guerre mondiale et de l’influence que cette implication a eu sur l’émancipation de ses habitants. En outre, la combativité des troupes africaines n’y est évoquée qu’à travers les qualités de leurs officiers européens, reflétant la culture de ségrégation qui gangrenait la Force publique. On minimise aussi l’effort de guerre consistant en souscriptions volontaires au Congo (comme dans certaines colonies françaises), après juin 1943. Au Congo, de telles initiatives ont fleuri dans les paroisses catholiques de Léopoldville. Les sommes collectées ont atteint un montant de 70 000 francs belges (environ 13 000 euros), comme aide aux sinistrés de Belgique.
Dès 1943, le gouverneur général Ryckmans déclare devant le Conseil du gouvernement : « Comme nous, les indigènes ont travaillé pour la guerre. Ils en ont souffert plus que nous. Le solde est une créance sur l’avenir à laquelle la Belgique devra faire honneur. » Pourtant, jamais les transferts de fonds de Bruxelles vers Kinshasa n’ont été à la hauteur de la dette contractée. Et la contribution du Congo à la victoire des alliés comme la bravoure de ses soldats demeurent encore trop méconnues du grand public.
http://manuscritdepot.com/a.freddy-monanga.1.htm
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