Thursday, September 20, 2012

L'ORIGINE DE MUTUASHI, UN FAUX MYTHE DE LA CULTURE DU PEUPLE LUBA


La langue Tshiluba, comme toutes les langues de notre Kongo, a plusieurs variantes et accents. Ceci selon les zones géographiques, les catégories sociales etc. Nous allons essayer de voir les origines du mot «mutuashi» et la confusion sur son appartenance à la langue Tshiluba. Nous allons, pour cela, voir le sens des mots ayant entraîner ce phénomène.


Le verbe, mot ou terme Kusanda.
Dans le Tshiluba, du Katanga jusqu'au Kasaï, ce mot a 3 sens:

  1. Amener ou apporter quelque chose. Par exemple: «nsandila mayi a kunua» veut dire «amènes-moi de l'eau à boire» ou «nsandila tshibasa» veut dire «apportes-moi le banc». Ce mot, dans ce sens, est très peu utilisé de nos jours en tshiluba.
  2. Le terme qui désigne un petit vers de terre «kasanda».
  3. Le verbe «kusanda» qui signifie forniquer. Nous pensons qu'il faut parfois dire les choses clairement. Que ceux que le mot heurte nous excuse. Nous sommes obligés d'expliquer les choses crûment.

Le verbe «mutua» ou «ku mutua»
«Mutua» veut dire piques-le. «Kutua» veut dire piquer ou «ko tuba» en lingala.
Nous allons voir comment ces deux mots ont évolué pour aboutir à la création du mot «mutuashi». Mot qui est à consonance Luba, mais qui n'appartient pas à la langue Luba. Ceux qui connaissent le Tshiluba, savent qu'il existe un style de parler cette langue qui est pratiqué dans l'espace du Grand Kasaï. Ce parlé consiste à finir certains mots ou terme par la lettre «s» avec apostrophe. Par exemple «ngambila's» au lieu de ngambila » pour dire «dites-moi». Ou encore «katuka's» au lieu de «katuka» pour demander à quelqu'un de vider les lieux. Alors ceci appliqué au terme «mutua», qui veut dire piques-le, donne «mutua's».
Rochereau Tabu et Dr. Nico Kasanda

Nous arrivons dans les années 1965. Dr Nico Kasanda avec Rochereau Tabou sortent une chanson intitulée «bia ntondi Kasanda» (Kasanda, j'en ai marre). Et dans cette chanson ils font un jeu de mots lié au nom de «Kasanda», avec des sous entendus aussi... «bia kutondi mbinganyi ?» questionne une dame dans cette chanson. Et Nico de répondre «si malu a Kasanda». Et dans la chanson, il y a un cri de relance «mutua's, muendela's». Nous pourrons traduire par «piques-la, prends-là». mais il faut préciser le «muendela's» est un terme soft pour évoquer l'acte sexuel en Tshiluba.
Nous avons grandi avec ces jeux de mots que nos parents faisaient quand cette chanson était sorti. Mais nos compatriotes d'autres tribus, dans leur façon de comprendre, de prononcer «mutua's, muendela's» ont dérivé vers une formule qui se déclinait en «mutua'shi, muendela'shi». Aujourd'hui cette évolution abouti au terme «mutuashi». Nous voulions montrer que ce vocable est issu de trois conjonctions:
  1. le sens des mots utilisés;
  2. un style de la langue tshiluba;
  3. une déformation dans la prononciation.

Nous pouvons nous interroger, à juste titre, de ce «mutuashi» qui serait de la culture du Kasaï. Avant qu'on nous couronne des reines dans cette «discipline» du Kasaï, n'oublions pas qu'il y a eu des musiciens de cette contrée du pays qui ont chanté le folklore de leur patelin. Souvenons-nous de Maman Tshibola. Elle fut une prestation très remarquée à la Télé du Zaïre dans les années 1975. Elle chanta «mbadi muina mu mpata ya metu» et autres.
Kabasele Tshamala aka Grand Kalle

Il y a eu Kabasele Tshamala, Grand Kallé, avec «mpamba wa bitola» et «Mbombo mulengela» sans oublier le fameux «kamulangu»...dans les prestations de ces artistes, et d'autres encore avant le titre «bia ntondi Kasanda», on n'a jamais entendu dire qu'ils jouaient ou chantaient du «mutuashi». Si on dit que le «mutuashi», est un coup de rein, alors depuis quand le coup de rein de quelqu'un se transforme-t-il en une expression culturelle de toute une tribu ? Ngeleka Kandanda avait aussi un coup de rein ravageur...mais son coup de rein ne s'appelait pas «mutuashi». Pour encore être plus clair, le mot «mutuashi» n'existe pas en langue luba. Que celui qui en connait le sens nous le dise. Même la reine de la discipline. Dans les années 1970, l'oncle Jogo et l'orchestre Comet Mambo de Matadi sortirent un titre où ils chantaient «koba, koba, koba yandi ngolo, yandi kele mpangi na nge ve, koba yandi...». Quel remous cela fit! Et ils firent vite rappelés à l'ordre. Etait-ce de la culture yombe ? Certainement le Congo n'était pas encore aussi dépravé comme aujourd'hui.
Nos artistes ont , parfois, puisé leur inspiration dans notre folklore. Pour être plus clair, bon nombre d'entre nous connaissent la chanson «kasala» de Rochereau avec l'African Fiesta. Peut-on dire que cette chanson c'est vraiment le kasala tel qu'il est chanté chez les Baluba ? Absolument non. Rochereau chante un problème social. Mais il a intitulé sa chanson «kasala». Mais elle n'a rien à avoir ni avec le rythme, ni avec la profondeur du «kasala» tel qu'il est pratiqué au Kasaï. Dans cette chanson, Pascal Tabou Sinamoya Rochereau revient sur les cri «mutua's, muendela's» plusieurs fois. Si on écoute Maman Masengu «Touring» dans ce style, c'est autre chose. Cette dame était la dernière cantatrice de ce courant folklorique. Et ses talents lui valurent beaucoup de problèmes. Et pour cause? 
Lors d'une visite de notre guide de maréchal à Mbuji-Mayi, les propagandistes du régime allèrent chercher la brave dame pour louer le président fondateur. Ils ne s'étaient pas trompés. C'est dans de telles occasions que ces musiciens traditionnels prestaient leurs talents. Et Maman Masengu dans ses louanges au guide, elle en fut une qui ne plut pas aux gens de la Mopap (mobilisation et propagande du président Mobutu). En effet, elle chanta «Mobutu wetu wa badiadia nshima bimansha bitonga». Ce qui veut dire «notre Mobutu, issu des gens qui mangent la semoule et jettent les assiettes»...allusion aux chikwange. Mais les propagandistes kasaïens du régime se souvinrent d'une chose. Ils se souvinrent qu'il y a des Kasaïens qui tiennent nos compatriotes du fleuve pour inférieurs à cause du fait qu'ils mangent des chikwange. Et le lien était vite fait d'outrage et insulte au guide fondateur. La pauvre dame fut interdite de chanter définitivement...Ainsi allait le Congo (Zaïre) du maréchal Mobutu. Un dernier mot sur le kasala. Même les chansons du griot Kapia Mukenga ne sont pas de cette catégorie. Kapia était un poète.
En guise de conclusion, nous pouvons dire que le rythme « mutuashi » et tout ce qui va avec est une récupération artistique de l'inspiration de Dr Nico et du Seigneur Rochereau pour un business musical.
Danseuse de Mutuashi
Dans le folklore et la culture luba, il n'y a aucun rythme musical qui s'appelle «mutuashi». Qu'il y ait des reines dédiées à ce business, c'est normal. Et ceux qui continuent à croire à ce pseudo folklore luba, le font par ignorance. Le contenu qu'on en donne est contestable et discutable. Et ceux ou celles qui continuent à se tresser des couronnes de reine, ils le font par pur mercantilisme. Mais dans la culture luba, le «mutuashi» n'a jamais existé ni comme danse, ni comme rythme, ni encore moins comme vocable tshiluba. Il est juste question de rétablir une vérité culturelle dans l'esprit des gens. Et pour ce faire, il faut mettre de côté tous les ersatz musicaux qui tentent de s'agglutiner sur une tradition. Pour appuyer notre propos, nous avons accompagné nos écrits des chansons «bia ntondi Kasanda» de Nicolas Kasanda et «Kasala» de Pascal Tabou.


Claude Kangudie
Publié par Ndompey Nvita Nkanga Amun