Ce qui motive réellement la construction du Grand Inga (hormis la perspective de profits massifs pour les entreprises), c’est la peur des dirigeants de l’Union Européenne de manquer d’énergie. Le projet s’intègre dans un ensemble colossal de pipelines et de gazoducs, de panneaux solaires et de lignes haute tension, dont le coût total s’élève à des centaines de milliards de dollars, que l’Union Européenne cherche à construire en Afrique, en Asie centrale et dans le Caucase afin d’assurer l’approvisionnement en énergie de son territoire. L’ensemble de ces projets, quasi méconnu du grand public et peu débattu par les responsables politique, aura pourtant des implications majeures aux plans géopolitique et environnemental. Mais cet objectif ne permet pas de justifier le projet, ni la levée des fonds requis. Il devient alors nécessaire d’invoquer les idéaux de « l’électrification de l’Afrique » et de « la réduction de la pauvreté », ceux-ci ayant pourtant peu de chance d’être réalisés dans le cadre du projet.
Le barrage d'Inga |
Selon la Banque mondiale, « Le complexe d’In¬ga est le noyau dur de l’industrie énergétique en République Démocratique du Congo. La Banque mondiale prétend également que le Grand Inga « fournira de l’électricité à 500 millions de personnes parmi les 900 millions d’Africains, ainsi qu’aux industries de plusieurs pays du continent ».
Si c’était vrai, cela exigerait des investissements phénoménaux en matière d’infrastructures : actuellement, moins de 10 % des ménages ruraux en Afrique subsaharienne ont accès à l’électricité et le taux général d’accès se situe sous la barre des 25 %. Construire un réseau complet de stations électriques locales avec des connexions à travers l’Afrique pour assurer l’accès à l’électricité à 500 millions de personnes en Afrique coûterait des dizaines de milliards de dollars et prendrait de nombreuses années et ne serait pas vraiment financièrement viable. Tandis qu’à l’inverse, acheminer l’électricité vers les seuls marchés étrangers solvables, en traversant ces mêmes pays comptant plus de 500 millions d’habitants, serait une escroquerie qu’aucune banque de développement qui se respecte ne prendrait même en considération. Ce type d’investissement qui canaliserait réellement les ressources et la croissance vers les populations, et non pas vers des méga-entreprises, serait en phase avec ce que les activistes et les communautés locales exigent depuis des décennies.
Mais, toutes ces études l’indiquent clairement : le projet Grand Inga ne serait financièrement viable que s’il comprend une ligne haute tension allant jusqu’en Europe, qui traverserait les jungles équatoriales du Congo Brazzaville et de la République de Centrafrique, le Darfour, le Soudan, le désert du Sahara, l’Egypte, puis passerait sous la Méditerranée, soit une ligne parcourant près de 5.800 km.
Imaginez un moment le coût vertigineux et la complexité technique d’une telle ligne. Selon des ingénieurs, rien de pareil n’a jamais été tenté. L’électricité d’origine hydraulique est générée et transmise en courant alternatif (CA) et l’acheminement par ligne à haute tension standard est de 1.000 KV (un million de volts). A ce voltage, les obstacles physiques (appelés l’effet Ferranti) impliquent que la longueur d’une telle ligne électrique ne dépasse pas les 2.000 km. Toute longueur supérieure se traduit par un gaspillage phénoménal d’électricité.
Cette ligne électrique serait donc en courant continu (CC).
L’exemple le plus long n’atteint que le tiers de la longueur Inga-Europe : il s’agit de la ligne détériorée d’Inga-Kolwezi amenant l’électricité aux mines du Katanga, laquelle a vu son coût quadrupler. Les lignes en courant continu peuvent transporter le courant plus efficacement sur de longues distances. Elles garantissent aussi à coup sûr que les populations locales n’auront pas accès à cette nouvelle source d’énergie. En effet, les lignes de transport seront vraisemblablement de 500 KV, alors que la plupart des lignes de distribution dans les villages sont de 11 ou 33 KV. Chaque fois qu’une ligne traversera un endroit où la population souhaitera se connecter, une nouvelle sous-station sera nécessaire pour convertir l’électricité en courant alternatif et abaisser le voltage.
S’il l’électricité hydraulique doit être développé à Inga avec le grand Inga, il est nécessaire de satisfaire à plusieurs conditions préalables :
1- Dédommager adéquatement et complètement les populations touchées à Manzi, Avunda et au Camp Kinshasa.
2- Reconcevoir fondamentalement le projet, non pas comme un projet colossal, pour la simple et bonne raison que de tels mégaprojets ne fonctionnent jamais, mais sous la forme de plusieurs projets plus petits, plus durables et ayant moins d’impacts négatifs. Réorienter le projet : supprimer la ligne d’exportation nord vers l’Europe et se concentrer sur la fourniture d’électricité aux entreprises et consommateurs congolais, ainsi qu’à ceux d’autres pays africains.
3- Adhérer aux recommandations de la Commission mondiale pour les Barrages : garantir que tout ce qui est construit soit conçu avec la participation active et au bénéfice des populations tout en gardant à l’esprit les besoins de l’écosystème.
De plus, il faut développer de nouveaux instruments juridiques pour permettre aux populations locales et à celles affectées par un projet de faire valoir leurs droits auprès des institutions financières qui soutiennent des projets d’infrastructures, principalement les institutions publiques comme la Banque mondiale et la BEI. L’histoire des grands projets d’infrastructures est jonchée d’exemples de communautés locales qui n’ont bénéficié de rien d’autre que des impacts négatifs du « développement » tandis que des sociétés, des institutions financières et des gouvernements refusent de les aider à réparer les dégâts.
De plus, il faut développer de nouveaux instruments juridiques pour permettre aux populations locales et à celles affectées par un projet de faire valoir leurs droits auprès des institutions financières qui soutiennent des projets d’infrastructures, principalement les institutions publiques comme la Banque mondiale et la BEI. L’histoire des grands projets d’infrastructures est jonchée d’exemples de communautés locales qui n’ont bénéficié de rien d’autre que des impacts négatifs du « développement » tandis que des sociétés, des institutions financières et des gouvernements refusent de les aider à réparer les dégâts.
Le Barrage d'Inga |
Les autres barrages érigés sur le fleuve Congo après l’indépendance du pays, sont mal gérés, peu efficaces et mal entretenus : Inga 1 (350 MW à l’origine) et Inga 2 (1 420 MW) se noient dans les sédiments et ne produisent que 30 % de leur capacité. Par ailleurs, les communautés (Manzi, Avunda et au Camp Kinshasa) déplacées pour les deux premières tranches d’Inga se démènent depuis les années 1960 pour obtenir des compensations équitables, mais n’ont rien reçu jusqu’ici.
Il y a des doutes sur le bilan en gaz à effet de serre des barrages hydroélectriques. L’activité bactériologique dans l’eau des barrages relâcherait d ‘importantes quantités de méthane (au pouvoir d’effet de serre 20 fois plus grand que le CO2), surtout en régions tropicales.
Ainsi donc, le projet grand Inga cache en réalité autre chose que « l’électrification de quasiment toute l’Afrique » et la « la réduction de la pauvreté en Afrique ».
Il y a des doutes sur le bilan en gaz à effet de serre des barrages hydroélectriques. L’activité bactériologique dans l’eau des barrages relâcherait d ‘importantes quantités de méthane (au pouvoir d’effet de serre 20 fois plus grand que le CO2), surtout en régions tropicales.
Ainsi donc, le projet grand Inga cache en réalité autre chose que « l’électrification de quasiment toute l’Afrique » et la « la réduction de la pauvreté en Afrique ».
Article de Freddy Monanga (source: le cauchemard de Conrad)